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Planète Bleue
15 novembre 2006

La fracture automobile

Elle était triomphante, somptueuse et rebelle. On vouait naguère un véritable culte à la voiture. Elle ne représentait pas un danger, ce n'était qu'un rêve pur et idéal. Il n'était pas rare de voir des attroupements se former dans la rue autour d'un dernier modèle. Les badauds se tenaient alors à distance respectueuse, vaguement admiratifs à l'endroit du propriétaire... On en parle à l'imparfait, mais ce n'est pas si vieux.

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Une voiture, c'était un concentré d'époque, un précipité de modernité quasi parfait. Il arrivait souvent que les conducteurs caressent leur véhicule avant de s'installer au volant. Une auto, comme on disait, cela se flattait, cela se couvait des yeux. Le terme parfois utilisé de bagnole était un leurre, un mot péjoratif pour cacher sa tendresse profonde pour un tas de tôle, une manière de masquer sa faiblesse pour une déesse, une intouchable.

D'elle, on ne pouvait sérieusement médire. C'était une raison de vivre et un ciment idéologique plus puissant que la prière. On affirmait sans contestation possible qu'il s'agissait d'une conquête, d'un nouvel instrument de liberté. On vivait alors une époque dominée par une curieuse trinité : le tiercé, la voiture et les week-ends. Justement, dans les dizaines de milliers de cafés de France, les hommes se réunissaient entre eux, restant longtemps debout à piétiner sur place le dimanche, pour jouer, fumer ensemble en plissant les yeux (ce qui leur donnait un air intelligent) et parler de leur garagiste. C'étaient les années 1960-1970. Le président Pompidou plissait les yeux mieux que les autres et roulait en DS. Une Citroën.

Il n'était pas rare, toujours le week-end, de voir des hommes quitter leur domicile un seau d'eau bouillante à la main, avec une éponge et une peau de chamois, pour s'escrimer à faire briller la carrosserie de leur voiture et faire reluire leurs chromes. Oui, à l'époque, les voitures possédaient des pare-chocs en chrome...

Ce monde-là est mort et enterré. Le piège à fantasmes s'est désagrégé, la nostalgie évaporée. Personne ne conteste plus aujourd'hui que la voiture pollue et tue. Au fil des années, elle est devenue un embarras, une folie et un danger. Le comble du chic consiste même à n'en pas posséder et, encore mieux, à ne pas avoir passé son permis.

La France d'en haut circule désormais en avion, en TGV ou en voiture de maître. A la rigueur peut-elle envisager de louer un véhicule pour une période de vacances. Les classes moyennes oscillent entre la voiture (classique et conformiste), le vélo (écolo et pratique) et les transports en commun (l'une des dernières expériences de brassage social : salutaire et instructif). La France d'en bas n'a pas le choix. Elle transite tous azimuts avec le sentiment d'être traquée, pressurée.

La voiture est devenue son cauchemar. La marque de son exclusion. Car la France d'en bas roule dans des voitures déglinguées. Elle roule le regard rivé sur la jauge d'essence. Elle roule dans l'angoisse du radar et du couperet automatique : l'amende exorbitante et le retrait de points sur le permis. Elle roule entre colère et frustration, parfaitement consciente d'être la victime d'une discrimination négative sans vergogne.

La voiture n'est plus son rêve, mais son humiliation. Et l'Etat un adversaire impitoyable qui l'enfonce, l'asphyxie. Il joue les vertueux, mais la pousse au surendettement sans songer à rendre le permis de conduire gratuit et obligatoire au terme de la scolarité.

Dans le coût que représente aujourd'hui le passage du permis, dans le montant des contraventions généreusement distribuées, dans le prix exigé par l'Etat pour redonner une partie des points retirés, il y a comme une réminiscence de gabelle. Le poids d'un impôt injuste et oppressif. Une forme de nitroglycérine.

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Commentaires
K
Les gens ont besoin de peu franchement ! Quoi que je dis ça mais je suis en extase devant la laraki fulgura alors ! Ca c'est de la "bagnole" ! Pendant ce temps, le trou dans la couche d'ozone s'aggrandit...<br /> Et je peux enfin laisser des commentaires ! <br /> Kadehar
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